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Hier elle est tombée. Elle a glissé sur le trottoir. Un énorme hématome. Rien de cassé. Le médecin lui a dit qu’elle avait vraiment eu de la chance. A son âge …

 

Aujourd’hui est donc un jour différent des autres jours. Puisque hier elle a eu de la chance, elle a seulement failli mourir, là devant la porte de son immeuble. Aujourd’hui donc, elle est une survivante. Epuisée, courbaturée, encore tremblante, redoutant le moindre faux mouvement.

 

Elle s’est repliée dans la chambre. Il y fait sombre toute la journée en hiver. Installée dans le fauteuil en velours râpé, elle n’a allumé que la lampe en opaline sur le guéridon situé tout près. Le verre d’eau concentre sur lui toute la luminosité, ainsi posé au pied de la lampe.

 

Soulager la douleur. Elle a laissé tomber le cachet dans le verre. Dans un léger bruit mousseux, il s’éparpille en mille bulles qui s’élancent à la surface de l’eau. Il disparaît, telle sa vie qui s’étiole. Et pourtant ces bulles ambrées par l’éclairage … on dirait du champagne !

 

A cette seule pensée, il lui revient des images de fête. Autrefois, elle avait beaucoup fait la fête, dansé, été au spectacle, aimé aussi.

Maintenant, elle attend que le rideau tombe, que les plaques de verglas soient fatales, qu’aucun cachet ne soit plus d’aucun secours.

 

Pourquoi pas hier ?

 

Hier, derrière la lourde porte de l’immeuble, il y avait eu l’éclat du soleil dans un ciel de tristesse. Un aveuglement soudain, presque une voix qui appelle, qu’elle a cru entendre : le cœur palpite, la sève remonte affolée, chaude et piquante aussi. Et puis, nettement, le rire de l’enfant. Incongru, moqueur et si libre qu’on aurait dit l’été. Un été breton.

 

A ce moment, elle s’est crue son égale, prête à s’élancer à sa poursuite, lassitude envolée. Mais d’une glissade sur le verglas, le monde s’est retourné.

Pourtant, elle y croyait fermement l’instant d’avant, à son avenir. Elle s’étonnait d’avoir encore trouvé le jour beau et simple. Jusqu’à refuser de le quitter quand l’occasion s’était présentée, de laisser sa tête aller buter sur le trottoir. Cette fois encore elle avait réagi. D’instinct, pour amortir la chute, elle avait mis les mains en avant. Elles ne s’étaient même pas brisées.

 

Elle s’accroche finalement. Elle croyait vouloir partir … Mais non. Hier, c’est cela qui est arrivé : elle a refusé. Refusé de mourir. C’est bien elle qui a dit non.

 

Ce souffle givré, ce rire qui vibre encore à ses oreilles, ce ciel sale transpercé par une épée. Une épée contre une autre épée. Un duel peut être. Arthur, Brocéliande …

 

L’effet du cachet se fait maintenant complètement sentir … la pulsation s’affaiblit sur les tempes, la douleur pesante s’évapore. Assoupie presque.

 

Alors elle peut entendre au loin le bruit des chevaux, puis percevoir l’odeur de la mer. Il lui reste donc encore ses rêves. Cela devrait suffire

 

 

Véronique MATA

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