Texte et images de Lola
Comme tous les jours à la belle saison, le parc vient d’inviter ses derniers visiteurs à quitter les lieux, pour apprécier à son tour sa beauté, se détendre, reprendre des forces et réserver un bel accueil aux habitués du lendemain. Le son puissant de la cloche réjouit le cercle des roses éternelles qui vont enfin pouvoir discourir entre elles.
Mes amis, déclare le Comte de Chambord, je suis totalement épuisé. En cette fin d’après midi, il me devient tout à fait insupportable de respirer la poussière soulevée, cette proximité indélicate pour mieux me sentir, l’œil toujours plus inquisiteur du peintre amateur, les babillages incessants, les vérités et les mensonges se délier sur le banc d’à côté.
Voyons cher Comte, depuis plusieurs siècles que vous fleurissez et enchantez ce lieu, ne vous laissez pas aller ; je compte bien, encore pour très longtemps vieillir à vos côtés avoue timidement Ghislaine de Féligonde dont la robe mauve s’empourpre soudainement. Nous n’allons quand même pas nous laisser aller à la mélancolie pense Amber. Elle se redresse pour ensuite mieux se ployer et atteindre sa cachette au pied d’un saule pleureur majestueux qu’elle remercie chaque jour de lui donner l’ombre nécessaire pour conserver son teint d’anglaise d’un rose si pâle, si délicat, qu’il ne peut flirter avec le moindre rayon du soleil. Elle parvient sans trop d’efforts à saisir son petit flacon de cherry qui ce soir encore sublimera son teinte de rose. A la vue du précieux élixir d’un rouge profond, Félicité se contorsionne discrètement et se penche pour saisir son petit verre de cristal offert par son amie Robusta qui s’épanouit et embellit à ses côtés depuis des années. C’est à cette heure là que Félicité sent le mieux son parfum si léger. Enfin prêts à savourer ce moment de quiétude et d’échange autour d’un verre de vin, les amis remarquent dans le parterre d’à côté une rose très haute sur tige, droite comme un i , chapeautée de larges pétales à l’allure aristocratique, d’un jaune profond. Venez rejoignez nous !
Heureuse de cette invitation à s’exprimer après cette journée murée dans son silence, elle n’hésite pas à, se pencher avec élégance pour franchir l’étroite allée qui les sépare.
Caroline de Monaco se présente à eux avec réserve mais avec une sympathie immédiate ; Je vous remercie profondément de m’inviter à partager avec vous ce moment d’intimité.
En effet, je suis arrivée il y a quelque temps mais je n’ai pas eu encore l’occasion de lier amitié en raison de mon isolement. Belle initiative que celle des jardiniers de retirer enfin cette haie. A vous écouter conter votre journée je ne me sens plus seule et partage avec vous cette lassitude de fin de journée mais je dois quand même vous avouer quelque chose. Elle m’a réservée une belle surprise. Pour la 1ère fois depuis fort longtemps quelqu’un m’a complimenté pour mon parfum à la fois subtil et envoûtant a-t-il précisé. J’avoue avoir été tenté pendant une fraction de secondes de me redresser encore un peu plus, je me suis contentée de sourire intérieurement car voyez vous depuis que l’on s’acharne à nous donner toujours plus d’engrais, à interdire les abeilles de butiner, les coccinelles de porter bonheur, les papillons de voler, nous perdons le parfum pour lequel on continue de vous chérir tant. Je dois vous avouer que cette métamorphose s’est opérée en vous écoutant discrètement vous entretenir à ce moment privilégié sur toutes ces méthodes néfastes que vous réussissez à refuser avec douceur et ténacité. Je vous observe chaque matin remisant de côté les pesticides, contester haut et fort auprès des jardiniers l’absence de vos animaux préférés et enfin refuser délibérément d’embaumer. Je vous remercie de triompher et de permettre à la nature d’être écoutée et respectée, je l’espère encore pour de nombreuses années. Je lève mon verre à votre intelligence à tous de revendiquer le passé pour déterrer des vérités servant à semer le progrès et récolter à foison la moisson d’un bel avenir.
Désormais le cercle des roses éternelles est heureux de compter un nouveau membre qui les aide à rallier les parterres alentours au respect de la nature pour offrir aux visiteurs un parfum de bonheur.
Paris, le 23 mai 2011