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20 juin 2011 1 20 /06 /juin /2011 08:48

Un soir de déambulation créative,

entre la Défense et le Pont de Levallois,

Pas de bulot après le boulot

 

Texte Véronique,

Photos Denis C

 

 

Je tombe comme elle

 

Rayon de lumière – oui – non. Rayon de lumière sous la porte. Si oui, alors je vois. Un peu. Le ras du sol. Les carreaux sales. Mes doigts sales sur les carreaux sales. Mes doigts sales marchent en araignée sur les carreaux sales. Je vois mes pieds. Chaussettes sales. Où sont mes baskets ? J’écrase une araignée. Clac ! Le noir. Plus de rayon de lumière. J’ai froid. Mes mains sales sous mon pull sale. Mes pieds bougent tout le temps. Faire peur aux araignées. C’est la nuit sûrement. Plus de bruit. Il a oublié mon manger. Il est parti ? Si je fais du bruit, s’il est là, ça va barder. Je gratte le bas de la porte. J’arrête. Rien. Je regratte. Rien toujours. Je suis puni. Combien de temps ? Plus que d’habitude. Plus que quand maman est partie. Pas le droit de parler, pas le droit de jouer, pas le droit de faire du bruit. « Pas le moindre bruit, tu m’entends ? C’est compris ? ». Il crie. Tout le temps il répète ça. Chaque fois qu’il passe devant la porte. Ça fait longtemps je crois, il m’a enfermé là. Plus longtemps que quand maman est partie ? Je peux pas me rappeler. J’entends passer les trains. Ça fait trembler les murs. Si je compte les trains, je sais le temps qui passe. Quatre trains égalent une heure. Les bouteilles, je sais pas. Elles tombent n’importe quand. Sur le carrelage de la cuisine ou sur le parquet du salon. Des fois elles éclatent ; pas toujours. Il faisait pas ça avant. Ça  fait un bruit drôle quand elles roulent. Comme si elles sont saoules. Je suis puni. Il est très fâché contre moi. J’ai rien fait. Il me dit de raconter. Je sais pas. « Avoue !  Avoue ! Tu mens, tu mens comme tu respires ! Avoue sale gosse ! » Je suis tout sale maintenant, c’est vrai. Mes mains, mes vêtements, mes cheveux sûrement. Je peux pas les voir, même avec le rayon de lumière. Je suis puni. J’ai rien fait. Lui non plus, c’est pas sa faute pour maman. Pourquoi il fait ça ? Elle a glissé toute seule. On jouait sur l’arbre, elle a glissé vite. J’ai rien pu faire. Peut-être les autres ils vont s’inquiéter à l’école. Ils vont me demander peut-être. Je gratte la porte. Plus fort. J’ai envie de taper. S’il est parti, je dois faire du bruit pour qu’ils me retrouvent. Ou je m’évade. Si je m’enfuis, je vais là-bas. Au bord de l’eau. Je reconnais la pierre avec le signe gravé dessus, sous l’arbre qui pleure. Au dessus de l’eau verte, au dessus des grosses feuilles sur l’eau, sur la grosse branche je monte, j’attends le rameur qui passe sans me voir. Je glisse de la branche. Je tombe dans l’eau comme elle. L’eau me boit tout d’un coup. Comme elle. Alors je la retrouve tout au fond. Forcément, je tombe comme elle, je la retrouve. J’ai crié son nom mais elle pouvait pas entendre sous les grosses feuilles sous l’eau. Le rameur, il a pas entendu. Je tombe comme elle, je la retrouve, je lui dis : remonte avec moi, je serai plus puni.

 

denis17-copie-1.JPG denis18



 
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commentaires

N
<br /> J'ai beaucoup aimé ce texte. "Beaucoup aimé" est un peu trop nuancé. Ce texte m'a touchée. Les phrases courtes, comme une respiration rapide, les pensées qui défilent, la peur, l'angoisse... et ce<br /> gamin.<br /> Le drame qui succède à un autre qui succède à un autre... Belle écriture. Révérence virtuelle.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Je partage tout à fait ton point de vue ! Un texte inspiré et touchant. L'auteure appréciera, j'en suis sure. Merci pour elle !<br /> <br /> <br /> <br />