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1 avril 2011 5 01 /04 /avril /2011 08:32

Texte de Clément, écrit sur la route du vin 

Photos de Patrick Masson, venues d'ailleurs

 


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La dame de Saigon n’avait pas prévu de se perdre dans le labyrinthe des carrés symboliques. Trop de vin avait coulé dans le même sens. Elle tanguait, ne sombrait pas, s’accrochait à l’idée que le tulipier de Virginie, là-bas allait la soutenir. Elle aimait les arbres qui venaient de loin. Du reste pour elle tout ce qui venait de loin était extraordinaire, meilleur, plus beau. Pour preuve, n’avait-elle pas troqué son nom d’Albertine Châlon en Dame de Saigon ? 

 

Elle longeait le mur jaune banane du Palais de la Réunification. Le haut col de son corsage en satin orangé lui donnait un port de tête rigide. L’étroitesse de sa jupe carmin entravait ses pas.

COUPER, ça ne va pas.

Tu trottines comme si rien était, mais aller retrouver ta vieille copine Geneviève, l’ambulancière de Diên Biên Phu après quarante ans de silence, ça doit t’émouvoir. Je veux le voir sur ton visage, je veux de l’hésitation dans ta démarche.

ON RECOMMENCE dès le départ. ACTION

Elle longeait le mur jaune banane du Palais de la Réunification. Malgré le haut col rigide de son corsage en satin orangé, elle baissait la tête, son dos se courbait. L’étroitesse de sa jupe carmin rendait ses pas hésitants. Un moment, elle s’arrêta, s’adossa au mur, comme pour reprendre des forces. Là-bas, la traversée du Parc Tao Dan s’annonçait peu plaisante. L’averse de mousson avait inondé les allées. Elle releva sa jupe et enjamba les flaques. Sa ballerine gauche resta plantée dans l’eau boueuse

COUPER, t’as rien compris.damedesaigon3

Alors maintenant tu sautilles au-dessus des flaques d’eau, tu y laisses ta chaussure et continues pied nu, sans problème. Mais tu oublies que t’as 80 berges pauv’ pomme. Mets toi ça dans le crâne, 80 ! Le temps où tu montais à toute vitesse en sautant dans ton ambulance sous les ordres de Bigeard est loin, très loin.

ON RECOMMENCE la traversée du jardin. ACTION 

Les allées du Parc Tao Dan étaient inondées. Elle hésita, l’allée des banians lui parut moins boueuse. Elle avança doucement, ses socques s’enfonçaient dans la terre. Elle arriva enfin rue Nguyên Du, le bas de sa jupe maculée de boue. Elle poursuivit dans les rues de la ville et arriva à la terrasse du Brodard encombrée de touristes. Une seule table était libre. Elle alla s’y asseoir.

COUPER, c’est n’importe quoi.

Alors comme ça, t’arrives au café, tu cherches une table, plutôt que de regarder si ta vieille amie Geneviève de Galard ne serait pas perdu au milieu des touristes ?

ON RECOMMENCE l’entrée au café. ACTION

Elle fut surprise de voir tant de touristes à la terrasse du café. Ainsi cet endroit était encore célèbre. Dans les années soixante, Joseph Kessel, Lucien Bodard et autres journalistes en avaient fait leur fief et y éclusaient des verres pour oublier les canonnades, les râles, les odeurs tièdes du sang et du foutre qui s’échappaient des blessés. Elle dévisagea une à une les têtes aux cheveux blancs. Pas de Geneviève. Déçue, elle s’assied à la seule table de libre, en plein soleil.

La chaleur devint insupportable tout à coup. Elle dégagea ses pieds de ses socques en bois, déboutonna discrètement le col rigide de son corsage et commanda une bière chinoise. Le temps s’écoula comme coulait la sueur dans son dos. Elle s’endormit.

Une voix tremblante la réveilla. « C’est vous le Dame de Saigon ? »  

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commentaires

N
<br /> Excellent ! J'aime beaucoup !<br /> <br /> <br />
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M
<br /> <br /> Merci !<br /> <br /> <br /> <br />