Immobile devant la porte bleue, le voyageur s’interroge, comme stoppé dans sa course. Quatre chiffres, deux lettres, une incohérence sonne familièrement à son esprit. Une seule porte étiquetée de deux numéros apparemment contradictoires, 32, 32A. Deux adresses pour un seul lieu, comme deux prénoms pour une seule âme, la sienne.
Toutes ces années ont filé, remplies du temps qu’il a fallu pour essayer d’oublier le vide douloureux du secret de sa naissance. Une lettre, enfin, celle qu’il attendait depuis des années, lui a donné cette adresse, et l’accord de sa propriétaire. Il se sent à présent submergé par l’histoire du début de sa vie, à Ménilmontant, petit adopté au physique d’orient, grandi dans les ruelles aux allures d’Afrique du nord. Bouffée d’émotion, sale tour de la mémoire qui a trouvé une clé pour ouvrir ce coffre fort. Trente ans à Shanghai pour revenir aussi fragile devant l’origine, la réponse à la question qu’il pensait indispensable à son bonheur. Pousser la porte bleue et savoir. Ouvrir la porte et voir, sa mère, biologique.
Un rayon de soleil éclaire encore la courette, un atelier est là, rempli d’objets accumulés, témoins d’une vie qu’il n’aura jamais connu. Il pense à Germaine, qui était là, elle, qui réparait le cuir. Dans une jolie boutique à deux pas de là. Aujourd’hui, derrière la porte, c’est une vielle femme qui est assise dans sa chaise en rotin, une femme qui n’a pas voulu être mère, ou qui l’a été, plus fort encore, dans l’absence. A la seule force de l’imagination, tenant à distance ce que le corps n’oublie jamais. Une femme qui a pourtant dit oui un jour à son fils qui voulait la rencontrer.
L’atelier est là comme s’il avait attendu le début de l’histoire pour disparaître en poussière. A ce moment Pierre Minh comprend d’où il vient. De cet accident du destin, de l’accueil de Germaine, des questions venues très tôt sur le contenu de son âme, sur les raisons qui peuvent pousser à l’abandon. Comme chaque enfant il a pensé que c’était lui, qui n’avait pas su retenir sa mère, a pensé que c’était elle, qui avait fui loin de lui. Longues heures à se demander ce qui venait d’elle en lui, comme un portrait en creux, de quel esprit était-il fait ? Assurément pas de là, ce lieu qui ne lui ressemble en rien, ou chaque objet lui est étranger. Telle une sérigraphie, l’empreinte seule compte, une partie de papier s’envole et ne sert plus à rien. Restent, les contours du pochoir, les couleurs qui remplissent les vides, la beauté née de l’ensemble.
Rêve de jeunesse, cette rencontre avec sa mère s’est donc transformée en succès... pour lui. Pierre Minh n’a plus besoin d’elle, il n’a jamais eu besoin d’elle en fait, peut-on regretter réellement ce qui n’a jamais fait partie de notre vie ? Tout était déjà là, bonheur qui se cachait derrière la peur de manquer quelque chose. Il suffit d’ouvrir grand les yeux.
Texte et image Florence Andrea
Déambulation Paris de Haut